Habitants - Touristes : quelle frontière ? L'exemple du Trièves

L’organisation du tourisme dans les territoires ruraux, un enjeu économique majeur, doit tenir compte d’une évolution rapide des modes d’organisation des séjours des visiteurs.

Au grand bénéfice des premiers comme de ces derniers, pour peu que les instances locales sachent tirer partie de ces mutations.
Si le modèle « tout compris » en résidence hôtelière a encore de beaux jours devant lui, le tourisme diffus sur les territoires est en pleine expansion. De nombreux visiteurs aujourd’hui cherchent la rencontre, la découverte de l’espace de vie, et donc le territoire qui saura mettre ces valeurs en avant. Aujourd’hui les institutions, comme les comités départementaux du tourisme, organisent ce nouveau tourisme, alors que les initiatives venant des habitants se multiplient depuis plusieurs années. Et l’avènement des sites Internet autoadministrés, puis des réseaux sociaux et enfin la multiplication des appareils mobiles connectés modifient profondément l’organisation des séjours.

L’internaute construit lui-même son séjour, à partir d’éléments qu’il va trouver sur la toile. Il ne consulte plus seulement les sites« officiels » des territoires, ou ceux des gros opérateurs touristiques : il dispose aussi des avis d’autres internautes sur une chambre d’hôte dans un "coin perdu" disposant à peine d’une page web. Et les avis des consommateurs sont en passe de devenir plus importants que le contenu même du site Internet… Un autre élément devenant essentiel pour le choix de la destination, et que l’on peut maintenant rendre visible en temps réel, est tout ce dont peut profiter le visiteur : ce qui va se passer sur le territoire aux dates où il sera présent. Tout ce qui fait la vie du territoire devient aussi l’offre à destination des visiteurs ; elle est même la valeur ajoutée essentielle pour le choix de nombreux touristes.

A la fois expression d’un dynamisme, lui-même attractif, et de promesses de découvertes, de rencontres.

Quelles sont ces initiatives des habitants ?
L’économie collaborative, nouveau vocable, exprime bien les mutations que vit aussi le monde du tourisme, à toutes les échelles : des habitants s’organisent pour recevoir les visiteurs, et leur montrer leur pays, leur parler de leurs activités – ce sont par exemple les Greeters (de nombreux groupes en France et partout dans le monde), des habitants mettent un lit à disposition des voyageurs – c’est le réseau mondial des Couchsurfeurs, et il y en a dans le Trièves –, ce sont les nombreuses formules d’échanges de maison ou de partage de sa voiture, qui existent déjà dans le Trièves (Mens étant même la 5ème ville France pour ce dernier !). On peut évoquer aussi les vélos mis à disposition des visiteurs de Mens par l’association Recycl’Art. Tout ceci, accessible depuis n’importe quel lieu du monde, favorise la venue de visiteurs qui se sentiront presque instantanément intégrés dans la vie locale. Personne n’est dupe, mais la rencontre est réelle, et le bénéfice mutuel. Recevoir chez soi des étrangers, à son territoire, à soi-même, est bien aussi une manière de voyager.

 

Les habitants animent leurs pages des réseaux sociaux, leurs blogs avec ce qu’ils font dans le Trièves, ce qui s’y passe, qui sont lus potentiellement partout. Ce n’est pas par hasard que la vidéo "Ambassadeur du Trièves" a gagné le concours Rhône-Alpes (janvier2014) : c’est bien parce qu’elle a été relayée et votée par les habitants du Trièves. Autant de personnes qui ont une image positive de leur territoire,et qui le font savoir à l’extérieur. Dommage que le site et la page Facebook de l’Office de Tourisme intercommunal du Trièves (Oti) ne l’ont pas évoqué pendant la campagne de votes. Alors qu’il est nécessaire aujourd’hui de parler des habitants, de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, de ce qui fait le territoire.


Le fait que le visiteur occupe un lit non-marchand, c'est-à-dire gratuit, ne le dévalorise en rien. Il devra aussi se nourrir, se déplacer, se divertir, apprendre, etc. Il est donc impérieux que toute l’offre disponible sur le territoire soit à portée de sa main. Aujourd’hui, dans le Trièves, la proportion de nuitées dans des lits non-marchands est de plus de 60% (amis, maison de famille, etc.). Et cette "population" de touristes est totalement oubliée… La taxation des nuitées marchandes ne devrait pas être un chantier prioritaire du service tourisme. Par contre développer le tourisme et ses impacts économiques pourrait  être une autre priorité, peut-être plus rassembleuse…


La vie du territoire, pour les habitants ou les visiteurs ?

La convergence entre l’usage du territoire par les habitants et celui du visiteur est une réalité, elle doit être organisée. Dit autrement, l’habitant profite de l’offre touristique, ou l’offre de services et activités aux habitants s’adresse aussi aux visiteurs. Les besoins culturels et récréatifs des habitants ne sont pas moins importants que ceux que peut désirer un visiteur, et leur promotion doit être identique à celle visant un public extérieur.

Il s’agit donc bien de mettre les acteurs,visiteurs comme visités, au centre du schéma de développement du tourisme.

 


Les animations existantes sur le Trièves, a priori destinées aux habitants, et qui peuvent faire l’objet d’une promotion coordonnée vers « l’extérieur » sont nombreuses : les cinq marchés de Noël, Mens Alors, la Foire du Trièves, Festicol etc., réparties sur toute l’année, ce qui est un atout important. Il serait intéressant de faire le recensement de tous les acteurs, ainsi que celui de toutes les pages web et sur les réseaux sociaux animés par des habitants volontaires. Et peut-être envisager leur mise en réseau, leur apporter une aide à la meilleure utilisation des outils, leur proposer des contenus, de l’illustration. Il y a de très bons photographes du Trièves…


Ce tourisme est particulièrement bien adapté au Trièves, où les initiatives à partager sont nombreuses, le cadre exceptionnel.

L’écotourisme est une valeur reconnue à défaut d’être déjà partagée par tous en Trièves, qui a fait l’objet d’une démarche pilote au niveau de la région Rhône-Alpes. Ce tourisme, qui existe bel et bien, est une composante de ce tourisme en train d’émerger.

La dispersion des visiteurs aujourd’hui est devenue totale, et il n’y a plus de frontière touristique entre les villes, les sites majeurs ou les stations de ski et les territoires ruraux. Et un habitant peut décider seul de recevoir des visiteurs, là où il habite, où qu’il soit.

Le tourisme se réinvente, et l’habitant peut d’ailleurs devenir touriste de son propre territoire.

Visiteur et ambassadeur, habitant et ambassadeur ; à la fois créateur et destinataire de l’offre, il n’y a pas de frontière entre le visiteur et le visité.


Organisons-le !

On le voit, développer le tourisme ne passe pas forcément par la création de toutes pièces d’une image et d’une offre qui rendrait le territoire attractif, en dépensant des millions, ce qui est aussi une artificialisation au même titre que créer des infrastructures dédiées au tourisme type Center Parc.

Ce tourisme d’articulation, celui qui correspond aux critères d’un tourisme doux, respectant les capacités d’accueil d’un territoire – soit à la fois le souhait des habitants et les faibles capacités en lits d’accueil – ne demande pas des moyens très importants, mais plutôt des compétences d’organisation, de gouvernance, d’intelligence collective, de mise en réseau des acteurs, et de mise en lisibilité, autant pour la population que pour les visiteurs, de tout ce qui fait l’offre du territoire.

L’OTi en étant aussi au service des habitants,améliore la visibilité du territoire, son attractivité. Et viendront ceux qui sont attirés par ce qu’est vraiment le Trièves. Ce tourisme, que l’on nomme parfois tourisme de partage, correspond à un mouvement de fond de son évolution, qui devrait trouver son acceptabilité sur nos territoires. Il devrait aussi permettre de rendre visible pour chacun les enjeux du tourisme pour le territoire (économique, structuration de la région…) et du potentiel dont nous disposons.

En Trièves, nous devons tirer partie de la complémentarité réelle entre le lac, les stations de montagne et l’ensemble du territoire rural. Cette articulation intelligence peut être partagée par l’ensemble des acteurs, mais le moteur, l’organisateur c’est bien la communauté de communes, qui s’est attribuée la compétence. Elle n’a plus qu’à l’exercer.


Pascal Lluch pascal@randopays.com - www.randopays.com

Accompagnateur en montagne - 38710 - Saint Jean d’Hérans

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©Copyrignt photos :

Jean-Pierre Lamic, Corinne Bazin, Véronique Teisseire, Katamkera, Terres Nomades

 

Réalisation images :

 

- Julie AMBRE

- Tiphaine MUFFAT

- Manon MATHIEU

- Titouan FAURE

Étudiants en DUT Gestion Administrative et Commerciale des Organisations (GACO)

Université Savoie Mont Blanc