Lettre d'un Guide-réceptif

Lettre d'un Guide-réceptif ayant abandonné le secteur du tourisme d'aventure après la rédaction de ce texte jamais publié.

 

Depuis déjà longtemps, j'ai envie d'ouvrir ou plutôt de continuer le débat...
C'est la relecture de votre article de Mars 2005 « Du business ethnique ... au business éthique » qui m'a convaincu... de vider mon sac (Trek Magazine N° 64, mars 2005 P 48- 53).

« Lorsqu'on parle de trek, on parle d'un business, on parle de voyage à caractère humain certes, mais aussi de rentabilité ».
« Comment faire passer un message, lorsqu'il existe de moins en moins de voyages encadrés par des guides français ?
Comment être sûr du comportement des trekkeurs sur le sentier... ? ».

 

Je pourrais reprendre bien d'autres passages... Mais ces deux courts extraits illustrent à merveille le cul-de-sac dans lequel l'industrie du tourisme d'aventure s'engouffre tous les jours un peu plus...

 

Je parle bien d'industrie, car lorsque les plus gros opérateurs du tourisme d'aventure sont capables de proposer des brochures avec parfois bien plus d'une centaine de voyages, et des brochures complémentaires du genre voyage en liberté tout aussi pléthoriques, voire même maintenant plus importantes, on peut réellement se poser la question suivante : qui sont encore des artisans parmi ceux des voyagistes qui s'affichent en tant que tels ?

 

Pour que les choses soient claires et que mes propos ne soient pas interprétés comme une attaque tournée vers certains voyagistes, ou considérés comme venant de quelqu'un qui crache dans la soupe, je précise que je participe depuis plus de 15 ans au développement et au fonctionnement de cette industrie et que je travaille avec et pour certains voyagistes en tant que guide indépendant et réceptif.

 

C'est bien cette position qui me donne envie de m'exprimer devant les dérives fortes du milieu dans lequel je travaille et les difficultés de plus en plus importantes à vivre de notre activité.
Tout d'abord quel que soit l'opérateur, une réelle et très forte pression est exercée pour obtenir des prix serrés.
Cette pression on peut la refuser, la tolérer ou l'accepter.
Mais malheureusement la recherche du prix le plus bas possible pour pouvoir coller au soi-disant marché devient intolérable pour de plus en plus de personnes vivant du tourisme.

 

Cela a plusieurs conséquences :

 

  • La première, qui me parait de taille, est le décalage entre les bonnes intentions (rémunération juste, respect des populations et de l'environnement,...) et la réalité du terrain (c'est le titre de l'encart de votre article de mars).
  • La deuxième, c'est la réalité économique que vivent au quotidien les guides et accompagnateurs (français et étrangers), ainsi qu'une grande partie des agences réceptives et les prestataires de services, qui voient au mieux leurs revenus stagner depuis des années, au pire se désagréger chaque année.
  • La troisième, est la disparition à terme d'une partie des acteurs du tourisme qui sont souvent pas ou mal protégés, ayant des revenus ne leur permettant pas de vivre sur leurs économies pour passer les mauvaises saisons (combien de participants à un trek se posent la question du niveau de vie de leur guide, de ce qu'il font en dehors de ce superbe voyage... ?).

 

Au final, seuls les plus gros tour-opérateurs s'en sortent correctement puisque leurs activités diversifiées et leurs finances permettent de passer souvent, pas toujours malheureusement, les caps les plus difficiles.

 

Qu'en est il des acteurs locaux, des guides, etc. ?
Ils changent d'activité et/ou se serrent la ceinture en silence.
Éthique tout ça ? Non juste économique !

 

Certaines zones du monde ne peuvent pas rivaliser avec les prix bas pratiqués dans d'autres.
Certes, ce sont le marché et les clients qui décident en fonction de leurs moyens pour acheter un produit touristique. Mais ce choix est-il raisonnable et raisonné ? Est-il influencé par les voyagistes ?

 

On parle d'éthique ... Elle vient juste s'arrêter au moyen financier de chacun !
Ce que je peux bien sûr parfaitement comprendre, car je suis un consommateur comme les autres dans de très nombreuses situations.

 

Un pays trop cher et hop plus de clients, je caricature mais la réalité n'est pas trop loin de cela (il y a bien entendu beaucoup plus que le facteur prix qui influence le choix d'une destination).
« Votre choix fait la différence », c'est vrai et cruel. Et on a beau se dire que les choses changent, que les personnes comprennent mieux (c'est possible)...
Ce que je vois, depuis des années, avec une économie au ralenti, c'est un repli général vers les prix les plus accessibles (tout est relatif).

 

Nous en arrivons à la deuxième partie qui concerne la présence de guides français. Malheureusement nous sommes, semble-t-il de plus en plus un coût. Notre présence ne semble plus indispensable dans de trop nombreux cas.
C'est parfois totalement justifié (guides locaux excellents, itinéraire facile et topo guide de qualité pour les itinéraires en liberté) et trop souvent un moyen de baisser les coûts de revient de façon si pratique.

 

Dans ces conditions, comment effectivement garder ce rapport qui permet de poser les limites sur le terrain de ce qui peut ou ne pas être fait, en accord avec ces textes et organismes (qui se multiplient) qui sont censés régir nos comportement de voyageurs curieux ?

 

Le guide local, les populations, ont-elles une formation, une information sur nos soi-disant engagements éthiques ? Ont-ils la possibilité de prendre le risque de remettre à sa place le voyageur indélicat ?

 

Une question me vient. Et si l'on n'est pas adhérent à ces chartes, à ces organismes, si on ne communique pas sur ses actions auprès des populations locales... Est-on un mauvais professionnel ?
C'est parfois ce qu'il me semble que l'on veut faire croire aux futurs participants d'un voyage.

 

C'est une guerre de communication, une action marketing, qui, bien entendu, part d'excellentes intentions à l'origine mais se transforme tout doucement en rouleau compresseur, supposé attirer un peu plus de clients ou renouveler l'intérêt !
Négatif tout ça ? Non juste un regard un peu désabusé sur une activité de passion, une vie merveilleuse qui a de plus en plus un prix un peu trop lourd à payer.

 

Ma conclusion, c'est une envie de voir la surenchère de « nous sommes plus respectueux que les autres » s'arrêter, de voir la tendance du prix mini, du dernière minute, de la promotion perpétuelle, se réduire pour revenir à des inscriptions anticipées (qui permettent une organisation normale), à un prix normal (celui qui fait vivre correctement l'ensemble des acteurs d'un voyage).
Les vraies questions : sommes-nous prêts à voyager moins mais mieux, en étant plus conscients et respectueux des hommes et de l'environnement ?
Est-ce que cela a un coût ? Sommes-nous prêts à assumer ce coût ?

 

Si vous répondez oui à toutes ces questions, vous êtes prêts à partir avec tous les professionnels passionnés, petits ou grands, qui vous font rêver à travers leurs propositions de voyages.

 

Avant de partir, posons les bonnes questions et demandons-nous pourquoi un voyage est plus cher ou plutôt pourquoi est-il abordable ?

 

P.F.

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©Copyrignt photos :

Jean-Pierre Lamic, Corinne Bazin, Véronique Teisseire, Katamkera, Terres Nomades

 

Réalisation images :

 

- Julie AMBRE

- Tiphaine MUFFAT

- Manon MATHIEU

- Titouan FAURE

Étudiants en DUT Gestion Administrative et Commerciale des Organisations (GACO)

Université Savoie Mont Blanc