Entretien avec Jean-Pierre Lamic dans le journal « Réforme »

TOURISTES SOLIDAIRES  : ENTRETIEN AVEC LE PRESIDENT DE V.V.E.

 

QUESTIONS À JEAN-PIERRE LAMIC

Ce grand voyageur et accompagnateur a créé l’association des Voyageurs et Voyagistes Éco-responsables (VVE). Il défend un tourisme responsable, au niveau social, environnemental et économique.

 

Lisez les réponses de J.-P. Lamic à ces questions :

 

  1. Comment est né votre militantisme ?
  2. Quelle est la définition du tourisme responsable ? Le tourisme solidaire est en pleine expansion.
  3. S’agit-il d’une mode ou d’un phénomène de fond ?
  4. Quelle est l’ambition de la Charte des voyageurs responsables ?

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Comment est né votre militantisme ?

 

J’ai toujours beaucoup voyagé étant jeune, puis je suis devenu accompagnateur, notamment en montagne. Au fil du temps, j’ai pu mesurer les conséquences du tourisme tel qu’il est mené par les voyagistes et les détériorations qu’il suscite sur chaque territoire. L’exemple le plus flagrant est Cuba, où j’ai vécu trois ans. Il y a 30 ans, il y avait 150 000 touristes par an. Aujourd’hui, il y en a deux millions ! Les conséquences sociales ne sont plus du tout les mêmes. La rencontre avec la population est toujours fugace et déséquilibrée, y compris du point de vue des échanges qui sont le plus souvent monnayés alors qu’avant, il n’y avait pas de secteur marchand. Même chose pour le peuple Masaï en Tanzanie qui voit chaque année débarquer un flot de touristes toujours plus grand. À ce niveau-là, il n’y a plus d’échanges ni de curiosité réciproque. La question du temps est essentielle car il y a 30 ans, on voyageait plus longtemps et l’on était beaucoup plus ouvert aux autres. Aujourd’hui, les gens restent une semaine dans un pays. Ils sont donc exclusivement dans la consommation et sont déconnectés de sa culture et de sa population. C’est cette dégradation, mais aussi les comportements choquants des touristes qui m’ont convaincu de créer l’association Voyageurs et Voyagistes Éco-responsables (VVE).

 

Quelle est la définition du tourisme responsable ?

 

Il y a souvent des définitions très simplistes. Quand j’ai commencé à écrire mon livre, il y a cinq ans, il n’y avait rien sur le sujet. Depuis, nous sommes noyés sous des tonnes d’informations, avec des éléments parfois très réducteurs. Contrairement à ce que l’on croit, il ne suffit pas de partir avec son sac à dos pour se dire responsable ! Il faut savoir accepter que l’on fait partie de ce 1 millionième qui participe à la dégradation du territoire. Notre définition prend en compte l’écotourisme (zones protégées), le tourisme d’aventure (rencontres et découverte), le tourisme équitable (échanges et partenariats avec les communautés) et le tourisme solidaire qui implique la mise en oeuvre de microprojets à vocation humanitaire ou d’aide au développement raisonné. La règle de base de toutes ces composantes, c’est bien sûr d’émettre le moins de CO2 possible. Or, cela ne va pas de pair avec les tendances actuelles dont la règle est : aller plus loin, plus vite, moins longtemps. Autre élément clé, la capacité de charge. En effet, il n’est pas envisageable pour nous de voyager en groupe de 15 personnes car un territoire ne peut pas supporter autant de voyageurs, par jour et par hectare, sans dégradation. On doit donc toujours intégrer et étudier le territoire pour savoir ce qu’il peut fournir, quels sont ses acteurs, ses atouts sociaux et ses besoins. Sauf que les voyagistes procèdent souvent à l’inverse. Ma règle d’or est de ne proposer que des séjours de 12 jours minimum en petit groupes de 8 personnes.

 

Le tourisme solidaire est en pleine expansion. S’agit-il d’une mode ou d’un phénomène de fond ?

 

Le tourisme solidaire est intéressant car il propose une approche différente du tourisme de masse en ce sens qu’il y a une vraie implication au niveau des populations. Toutefois, il faut être vigilant. Les projets doivent tenir la route et être vraiment utiles aux habitants. Ne soyons pas dupe, le tourisme solidaire peut aussi créer des désordres sociaux en soutenant, par exemple une tribu plutôt qu’une autre dans un pays où l’on en compte 300 ! Chez VVE, nous privilégions une réflexion territoriale : un projet peut être bon sur un territoire et mauvais sur un autre. Il faut analyser en amont les réels besoins du pays, les rapports sociaux entre les populations, en prenant en compte tous les « concernés », comme nous les appelons. Cela implique évidemment de travailler avec les autorités locales et les représentants officiels. Mais faire un voyage solidaire ce n’est pas forcément aller dans les pays les plus pauvres de la planète ! On peut aussi partir dans les Cévennes ou dans les îles éoliennes. C’est d’ailleurs ce que nous proposons aux voyageurs curieux qui veulent sortir du tourisme de masse. La seule règle est de déposer sa culture et ses préjugés sur le devant de sa porte en partant de chez soi.

Nous sommes tous responsables à des degrés différents. L’important est d’en avoir conscience.

 

Quelle est l’ambition de la Charte des voyageurs responsables ?

 

Elle s’adresse aux voyagistes qui acceptent de respecter dix critères éco-responsables tels que la transparence, la prise en compte de la capacité de charge du territoire, le pourcentage des produits locaux parmi ceux consommés, la compensation éventuelle des émissions de CO2 générées…. Une quinzaine de voyagistes l’ont déjà signé ainsi qu’une centaine de voyageurs. L’important pour nous est de contrer ceux qui pratiquent le « greenwashing » (verdissement durable) en intégrant les valeurs vertes et responsables uniquement à des fins commerciales et sans réelle implication.

Propos recueillis par F.B

 

À LIRE

 

"Tourisme durable, utopie ou réalité", Jean-Pierre Lamic, Ed. L’Harmattan, 2008.

 

 

À CONSULTER

 

http://www.vve-ecotourisme.com/

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©Copyrignt photos :

Jean-Pierre Lamic, Corinne Bazin, Véronique Teisseire, Katamkera, Terres Nomades

 

Réalisation images :

 

- Julie AMBRE

- Tiphaine MUFFAT

- Manon MATHIEU

- Titouan FAURE

Étudiants en DUT Gestion Administrative et Commerciale des Organisations (GACO)

Université Savoie Mont Blanc